Il n’a peut-être pas inventé le fil à couper le beurre mais, aux yeux des observateurs, le fils d’Anastasie Bekono épse Nkonda (d’où le tube « Bekono nga Nkonda » traduisez « Bekono épouse de Nkonda ») et de Raphaël Nkonda est acclamé à l’unanimité comme étant celui qui a creusé le bon sillon. Ce sillon dans lequel des générations entières se sont aujourd’hui engouffrées, avec des démarches diversement appréciées et pour des résultats tant rayonnants pour les uns que mitigés pour d’autres.
Le mérite de Messi Martin, fils du village Yemessi dans l’arrondissement d’Esse, Région du Centre, où il vit le jour le 22 septembre 1946, c’est d’avoir osé le premier et avec brio, transposer les sonorités du balafon de son enfance, sur une guitare électrique. Un « instrument des blancs » imitait alors des « sons indigènes ».
Les airs de la forêt pouvaient donc par ce fait, sortir de sous les arbres et conquérir les cœurs du monde grâce à cet outil moderne, plus connu et plus élaboré. Et par cette trouvaille, des rythmes aussi sacrés les uns que les autres à l’instar du Nyeng’, du Mbâak, de l’Elak, de l’Ewanga, du Mbala, et autres berceuses chères à ce peuple de « seigneurs », trouvaient une place sur la scène internationale dans un contexte mondialisant alors naissant. Des émules talentueux et bien inspirés tels que Nkodo Si Tony, Les Têtes Brûlées avec un certain Zanzibar et plutard Rantamplan, K-Tino et Lady Ponce, ont alors pu écrire de belles pages et chroniques, bien au-delà du Cameroun, voire du continent africain. Ses propres tubes restés éternels, continuent d’alimenter bien des discographies, chez les jeunes générations, aussi bien dans les limites géographiques du Cameroun que bien au-delà de celles-ci.
Quelle trajectoire !
Rappelons que Messi Martin est le quatorzième enfant d’une famille de seize. Il connut son éducation primaire à la mission catholique d’Esse où il obtint en 1957 son Certificat d’études primaires et élémentaires (CEPE). En dehors des instruments traditionnels que sont le Mvet Oyeng, le balafon (Mendzang), les tam-tams et autres tambours, le petit Martin a la curiosité de s’intéresser à un instrument bien singulier, qu’il trouve dans la cour du chef supérieur des Mvelë, Sa Majesté Ngoa Evina. Il s’agit alors d’un vieux banjo qu’il ne tardera pas à manier avec beaucoup d’adresse. Malheureusement, l’instrument hybride alliant alors des propriétés de membranophone et celles de cordophone, finira cassé sur la tête du jeunot de 12ans de l’époque. L’auteur du « crime » ne fut autre que son propre père, refusant radicalement que son fils suive un chemin de « voyous ». Jusqu’à la mort de l’artiste, une marque sur le front témoigna de la violence de l’acte parental.
Après son CEPE, il put se faire relativement la main dans l’électromécanique. Il pouvait alors dépanner des transistors et quelques appareils électroniques légers, avant de se mettre à la fabrication de guitares, à partir du matériau qu’il pouvait avoir sous la main. Il se met naturellement à en jouer tout naturellement, en autodidacte. Et c’est sur ces entrefaites, qu’il se fera enrôler dans le Jazzy Garo qui deviendra plus tard Los Camaroes, tous créés tour à tour par le même déjà célèbre Jean Gabari. Il y évoluera pendant un court moment. Nous sommes en 1965 et le garçon est installé à Garoua dans le Nord du Cameroun. Il y connaîtra aussi brièvement une autre formation, Les Titans de Garoua avec le métronome Ndo Clément et c’est en outre le début d’un parcours plein de succès malgré les difficultés managériales qui jalonnèrent sa carrière, et le dénuement total dans lequel il quitta ce monde le 10 mars 2005.
Sur son chemin, de fabuleux épisodes dont se souviennent encore quelques témoins de l’histoire. Il s’agit alors de ses passages dans des bars de tout le Septentrion, d’un passage en Afrique de l’Ouest sous la direction du Béninois Jean Boussou, et surtout, du bar auquel il restera à jamais identifié, le « Mango Bar » au quartier Elig-Effa à Yaoundé. Véritable place forte de l’ambiance malheureusement aujourd’hui disparu où il était chaque soir, à la guitare solo et au chant, en compagnie entre autres de son chef d’orchestre et guitare solo Emmanuel Mpouli ex-Golden Sounds (Zangalewa), Joseph Sala Bekono « Tara » au lead vocal et aux chœurs, et bien sûr Jean Gabari, Johnny Cosmos parmi les plus illustres. Son arrivée à Yaoundé est, il faut le retenir, le fait de son seul talent qui en fait une véritable vedette déjà dans le Grand Nord et lui octroie une notoriété impressionnante.
Sadou Daoudou alors ministre des forces armées et qui ambitionne de révolutionner la section musique des armées, dépêche depuis la capitale, le musicien soldat Philippe Nkoa alias Archangelo de Moneko pour ramener du Nord le jeune talent dans le but avoué de l’enrôler dans l’armée. Devant le refus de Messi et de sa famille, un membre de son groupe lui, ne loupera pas l’occasion. Il s’appelait alors Elanga Maurice, qui sera plus tard célébré sous le pseudo « Elamau », avec qui quelques belles portées de la musique camerounaise s’écriront également.
Le visionnaire
De 1964 à sa mort en 2005, Messi Martin léguera à la postérité d’immenses succès compris dans à peine cinq albums puisqu’on y compte deux compilations de ses succès, de véritables « Master pieces » tels que « Bekono nga Nkonda » évoqué plus haut, « Amu dzé », « Ovongo ane man Bella », « Ma tame ke mayôn », et un certain « Zoa Mballa » sorti en 2000.
La richesse de ses textes et sa dextérité à explorer la riche rhétorique des langues Ekang lui offrirent toute l’admiration des mélomanes et des observateurs avertis. Des thématiques épurées et élaborées, sans trivialités mais plutôt embuées de toute la sagesse et de la mystique de la grande communauté « Béti-Fang-Bulu » de la forêt équatoriale africaine. Et il a eu le mérite de connaître une joueuse de Mvet-Oyeng, un instrument de musique traditionnel à-cheval entre la harpe et la cithare dont se servent les conteurs au clair de lune. Et pour avoir connu Mvet et Banjo dans son enfance, Messi Martin trouve une astuce pour étouffer le son des guitares en 1969 pour reproduire quasi fidèlement le son du balafon. Les rythmes venus du Grand Congo à savoir le « Merengué », la « Rumba » et le « Soukous » constituent alors la principale base harmonique de ses créations. Et quand il réussit à y poser toute la rythmique traditionnelle de la forêt, il se crée une identité, une particularité.
Messi Martin fut considéré par tous comme un esprit libre, un avatar en avance dans le temps. D’ailleurs, il aimait à se définir comme un « messager ». Il précédera un autre avatar qui lui aussi, marquera son temps et défiera l’histoire, Etémé Théodore alias « Zanzibar ». Un grand pan de l’histoire des « Seigneurs de la forêt » explosait à la face du monde.
Les insuffisances techniques du balafon évoquées étant déjà résolues, le Label Wood Time Records souhaite garder la flamme allumée pour exposer définitivement cette musique sur le plan international.
Ecoutez et appréciez le géni de ce virtuose dans l’album Ma Source du Groupe NDANN de Wood Time Records. Un rendu mélodique et harmonique définitif de son style artistique avec le balafon originel troqué alors par la guitare plus élaborée.